Lors de sa première visite, en août 2015 sur la terre amazonienne, Emmanuel Macron, alors Ministre de l’Economie, avait plaidé pour le renouveau de l’industrie minière française. Pour ce faire, il encouragea le projet de la Montagne d’or, présenté ci-dessus. L’argumentation de l’ancien ministre, et actuel pensionnaire de l’Elysée, était de louer un secteur renouvelé en parlant de « mine responsable ». Le 3 avril 2018, s’est ouvert en Guyane le débat public sur la Montagne d’or dans une atmosphère houleuse ; la discussion du jour s’est terminée avec l’intervention des services de sécurité car ce projet de mine à ciel ouvert déchaîne les passions sur le territoire. Pourtant, ce qui se joue à 8000 km de Paris, dans le silence assourdissant des médias, n’est rien d’autre que la question de l’industrie minière au 21e siècle.
Nous le savons, parler de mines en 2018 renvoie à un anachronisme, une sorte de brisure dans l’espace-temps, comme si les haveurs de Germinal avaient traversé les époques pour nous saluer dans notre merveilleuse modernité. La mine renvoie inévitablement l’imaginaire collectif à ces temps oubliés des 19e et 20e siècles. Les dernières mines de charbon en France ont fermé entre 1998 et 2004 ; il reste aujourd’hui une vingtaine de mines en activité. Ces dernières sont en majorité des zones d’extraction de sel (4,4 millions de tonnes en 2015). Cependant, il faut noter depuis quelques années, le regain de projets miniers en France (Métropole + Outre-mer), notamment celui de Variscan en Bretagne.
Or, les mines –on n’y pense que trop rarement- sont intrinsèquement liées à notre modernité ; smartphones, satellites, voitures électriques, l’ordinateur que l’on utilise pour écrire, etc. Tous ces objets technologiques de notre quotidien n’existeraient pas sans les métaux extraits des mines du monde entier. Leurs technologies nécessitent l’utilisation d’or, d’aluminium, de cuivre, de graphite, cobalt, gallium etc. Imaginer un monde sans ces différentes ressources, c’est imaginer un monde sans télévision, micro, éolienne, batterie de portable, tous ces outils qui nous paraissent, à tort ou à raison, indispensables.
La Chine est le premier producteur mondial de « l’essence » de notre modernité technologique. Elle répond à elle seule 95 % de la demande mondiale en métaux rares et constitue de ce fait un monopole sur les ressources les plus importantes du 21e siècle. Par ailleurs, rappelons-nous que l’Union Européenne s’est construite par le contrôle de l’acier et du charbon (le Traité de Paris donna naissance à la CECA le 18 avril 1951), deux ressources minières alors indispensables au maintien d’une force militaire. Que penser aujourd’hui d’une situation où un seul pays détiendrait le monopole de métaux essentiels à la production des armes modernes ?
La problématique des mines est centrale pour l’approvisionnement en ressources et pose, in fine, le problème de la souveraineté économique et politique de notre pays. Dans les années 1980, nous avons délocalisé la pollution due à l’extraction de ces métaux vers la Chine, pour des raisons environnementales. Aujourd’hui, notre monde moderne regarde vers la Chine, et nous nous rendons compte que nos politiques en faveur du climat souffrent d’un angle mort, les mines ! Dans son livre « La guerre des métaux rares : La face cachée de la transition énergétique et numérique » Guillaume Pitron montre très bien les enjeux multiples de l’extraction minière, ainsi que la transition écologique engendrée par ce secteur d’activité. La pollution constitue une préoccupation majeure.
Toutes ces problématiques doivent être prises à bras le corps par nos décideurs politiques, et par nos concitoyens. Il faut regarder cette réalité en face afin de faire émerger une réelle transition sur la base d’une industrie minière du 21e siècle. Les interrogations sur notre modèle de développement doivent passer par ces éléments cardinaux. Il n’y aura point de transition, point de respect des Accords de Paris, sans cela.
Le présent article n’a pas vocation, dans une optique manichéenne, à dire oui ou non au projet de la Montagne d’or. Mais de démontrer, en partant du dit projet, que les conditions afin de produire une réponse adéquate à nos questionnements ne sont pas réunies, du fait de toutes les raisons rappelées plus haut, dont cet aveuglement quant à notre modernité.
Trois dimensions principales constituent la trame d’une réflexion sur la politique minière :
- le cadre juridique qui passe par le code minier
- la démocratie, c’est-à-dire, la prise en compte de la population locale dans chaque projet d’ouverture de mine
- l’économie et la technique.
Le code minier et l’environnement
« Le droit minier tel que nous le connaissons est un droit inadapté aux conditions du monde contemporain. Il en est ainsi pour deux raisons essentielles, qui ont des effets convergents, et qui traduisent le vieillissement des idées du XIXe siècle, tant en ce qui concerne la nature juridique de la mine qu’en ce qui a trait aux possibilités d’exploitation. L’optimisme du début de l’ère industrielle avait vu dans les gisements des sources inépuisables et permanentes, semblables dans leur essence à la terre, capable de subvenir indéfiniment aux besoins des hommes (…) De même, il est clair que le droit minier, tel qu’il apparaît à cette période, s’est essentiellement préoccupé de régler les problèmes nés de l’exploitation de la mine et des difficultés auxquelles elle peut donner lieu. » (1)
C’est le 28 juillet 1791 que sont institués les premiers textes juridiques miniers. Le 21 avril 1810, l’empereur Napoléon 1er réforme totalement lesdits textes, avant qu’en 1956 les textes soient codifiés. Le code minier est le cadre qui régit les mines depuis. Aujourd’hui, on peut, sans hésitation, affirmer que ce code est suranné. Il était tombé aux oubliettes avec les fermetures de mines en France. Il redevient indispensable eu égard à la résurgence de la question minière.
Entre 1810 et 2010, le code subit quelques réformes dans la logique de reconstruction qui suivent les guerres. A cela, il faut ajouter les procédures des années 1990 qui ont permis d’adapter le code au droit de la concurrence.
La controverse du gaz de schiste va relancer les débats du code minier et réveiller ce texte endormi. Pendant une longue période, la législation n’établissait aucune distinction entre ressources recherchées et méthodes d’extraction. Le choix était laissé à la discrétion des exploitants, libres d‘utiliser les méthodes de fracturations hydrauliques si contestées de nos jours.
Les différents gouvernements impliqués lors des présidences de N. Sarkozy, F. Hollande et E. Macron se sont emparés du sujet. Le dernier changement majeur date du 25 janvier 2017, par lequel le gouvernement dirigé par M. Valls décide de modifier le code par ordonnance. En 2015, un groupe de travail parlementaire avait été constitué, son but étant de réformer ce texte vieux de deux siècles. Arnaud Grossement, juriste reconnu en droit de l’environnement, avait alors été mandaté par Nathalie Kosciusko Morizet, alors ministre de l’Environnement. L’une de ses prescriptions était la suppression, pure et simple, du code minier et sa refonte dans le code de l’environnement après un débat public, ce afin que la question ne reste pas une affaire d’experts. Aucun débat n’a émergé dans la société et le code minier a subi un simple toilettage « verdissant ». Les questions restées en suspens dans le nouveau texte sont ainsi les suivantes :
- Les mines ne sont pas soumises à toutes les dispositions relatives aux ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement)
- La direction régionale environnementale ne peut donner qu’un avis consultatif
- La fiscalité minière : « 125,7 euros par kg d’or ou 291 euros par millier de tonnes de zinc reviennent aux communes. Au cours actuel de l’or, les redevances des communes et départements additionnées représenteraient moins de 1% des recettes potentielles des compagnies minières – le kilo d’or s’échangeant autour des 35 000 euros. » Même les soutiens du projet minier en Guyane critiquent cette fiscalité « la taxe sur la valeur de l’or est plafonné à 2% » dixit Gauthier Horth, moins que la fiscalité minière de la RDC.
- L’information et le débat public, ce dernier étant largement défaillant comme nous le verrons plus loin.
Une autre question semble essentielle, celle de « l’après mine » (Titre V article 6 du nouveau code minier). Une notion y apparaît, celle de la « solidarité nationale ». Cela veut dire qu’en cas de défaillance de l’exploitant (la faillite notamment), c’est à l’Etat de prendre en charge la réhabilitation du ou des sites d’extraction. Par conséquent, on peut se demander s’il faut laisser à des opérateurs privés, comme Nordgold et Colombus Gold, le soin de nos mines ? Est-ce que le système actuel ne produit pas une espèce « d’aléa moral » (2) ?
La construction d’une politique industrielle minière du 21e siècle ne peut se faire dans le cadre juridique actuel, sans doute trop laxiste et flou sur des questions essentielles. Dans cette perspective, ne devrait-on pas considérer que l’environnement n’est pas une variable d’ajustement et que les collectivités devraient avoir droit à des retours financiers dignes de ce nom ?
La question démocratique : le débat public
Lorsque l’on évoque des projets miniers, potentiellement destructeurs de la biodiversité, on ne peut faire fi de la question démocratique. Ne faudrait-il pas laisser davantage de place aux citoyens ? Ces derniers devraient accompagner ces projets de la phase d’exploration à la réhabilitation des sites sur des périodes très longues 30, 40, voire 50 ans. Or, le nouveau code minier ne prévoit pas cela. Il renforce les droits à l’information et la concertation, sans promouvoir un réel pouvoir décisionnel qui serait exercé par les groupes citoyens. L’importance d’une décision telle que ouvrir une mine ou non, impacte très significativement un territoire, parfois avec des possibilités de conflits très graves. De ce fait, la population doit être informée et surtout consultée réellement. En Guyane, pour illustrer cela, le débat public commence alors même que la phase d’exploration est finie.
Comme le montre la vidéo ci-dessus, si la parole citoyenne n’est pas écoutée lors des prémisses du projet. Il se crée alors un ressentiment puissant qui ne permet pas un débat apaisé. La dispute est une notion indispensable ; d’elle naissent les solutions pérennes, les adaptions, voire les annulations de projets. Il faut prendre en compte ces aspects dès le départ si l’on veut construire des projets sûrs.
Dans leur livre « Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique », Michel Callon, Pierre Lescoumes et Yannick Barthe affirment que dans un monde rempli d’incertitudes techniques, OGM, pesticides, etc. devrait se former une démocratie dialogique ; une démocratie de dialogue de tous en soutien à la démocratie délégative. Ces incertitudes techniques impliquent de « repolitiser » la Science, c’est-à-dire la mettre en contact avec les citoyens, et ainsi responsabiliser les actions et les choix, par le biais de forums hybrides rassemblant experts, profanes, décideurs politiques, associations, etc.
Une politique minière du 21e siècle ne peut se passer d’une démocratie locale renforcée. Les populations concernées par les impacts doivent être partie prenante des projets avec un pouvoir effectif.
Quelle politique pour l’industrie minière du 21e siècle ?
Dans une entrevue donnée à 28 minutes sur Arte, Guillaume Pitron a fait connaître sa position sur les mines en France. Une position surprenante et enrichissante à la fois. Il dit, en somme, que la décision la plus écologique à prendre, aujourd’hui, serait de rouvrir des mines en France. Pourquoi pas ? Plusieurs arguments pourraient venir en appui de cette proposition :
- Il nous faut sortir d’une forme d’illusion : nous pensons avoir entamé un développement plus durable dans notre pays développé. Mais nous avons aussi délocalisé certains de nos problèmes et de nos pollutions. Avoir des mines sous nos fenêtres nous ferait certainement mieux prendre en compte les contraintes de notre modernité technologique !
- De cette réalité retrouvée pourrait naître une participation accrue da la population dans des projets miniers qui les impacteraient directement. Cette participation serait indispensable à la mise en place d’une politique minière.
- L’obsolescence programmée et l’éco-industrie-locale : selon plusieurs chercheurs, la fin de l’obsolescence programmée accompagnée d’un recyclage performant, provoquerait une plus grande dépendance vis-à-vis des ressources minières chinoises. Cette remarque suscite plusieurs réponses :
- Le recyclage des matériaux coûte plus cher que leur production ; de plus le recyclage est extrêmement énergivore. Cependant, il reste nécessaire.
- La fin de l’obsolescence programmée paraît indispensable afin de créer une industrie minière du 21e siècle. Ainsi les ressources utilisées serviraient de manière optimale (voir article de Julien Valéry « Halte au fléau de l’obsolescence programmée » ).
- Les produits qui se nourriront de ces ressources devront être construits selon les principes de l’éco-industrie-locale, des objets utiles et éco-conçus. (Voir article et livre de Luc Dando « Développer une éco industrie locale »).
Néanmoins, il nous semble qu’un nouveau modèle de développement des mines, de notre industrie, et, a fortiori, de notre économie, ne serait complet que si une partie des matières premières était produite sur notre sol. C’est une question vitale de souveraineté, d’écologie et de politique.
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De nos jours, penser une véritable politique industrielle minière implique de penser les rétroactions à l’échelle globale, sans perdre de vue le niveau local. Penser les liens entre le local et le global est indispensable pour concevoir un nouveau modèle de développement respectueux de l’environnement. Par une politique de relocalisation des mines, nous nous mettrions dans les conditions de réflexion permettant de trouver des réponses adéquates aux problèmes du siècle, ce, sans laisser à d’autres les souffrances dues à notre confort. Le débat reste ouvert !
1. Pr. Denis Levy, Évolution et problèmes actuels du droit minier, Revue de droit public 1982, p. 5. Cité par le rapport parlementaire sur la réforme du code minier.
2. Terme utilisé en finance, il signifie que celui qui ne supporte pas tous les risques de ses investissements peut avoir une propension à prendre des risques plus importants.
3. https://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-3-page-191.htm