Adoptée le 2 décembre dernier, la réforme fiscale de Donald Trump fait passer l’impôt sur les sociétés aux Etats-Unis de 35% à 20%. Emmanuel Macron prévoit de réduire le taux à 25% d’ici à la fin de son quinquennat. Attention au désarmement fiscal des Etats.
Trop peu d’impôt tue peu à peu l’Etat. La fameuse maxime de l’économiste libéral Arthur Laffer se retournerait-elle contre ses propres thuriféraires ? En effet, les Etats se lancent depuis une dizaine d’années dans une folle course à la baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) pour attirer les industries ou du moins éviter de les voir s’installer sous des cieux fiscaux plus cléments. Début décembre, un concurrent « redoutable » vient de rentrer dans cette pernicieuse compétition en la personne de Donald Trump. Le taux d’impôt américain sur les bénéfices – alors parmi les plus élevés du monde – passera dès 2019 de 35% à 20%. Ce nouveau ratio en forme de chiffre rond pour frapper les esprits ne tombe pas tout à fait par hasard : il correspond à une nouvelle « moyenne mondiale » de l’IS. En Chine, il s’établit à 25%, au Royaume-Uni à 19%, en Suisse à 18%, en Suède à 22%. Le chantage à la délocalisation ou plus exactement « aux investissements ailleurs » fonctionne à merveille. Partout, le taux de l’IS baisse : l’Allemagne, sous la barre des 30% aujourd’hui, taxait en 2007 à 38,4%. Dans ce même intervalle, la Suède baissait son taux de 6 points, le Royaume-Uni de 11 points. Et la France : dans les standards américains avec 34,4%, elle se retrouve aujourd’hui avec la législation fiscale la plus lourde. Les 50 plus importantes sociétés industrielles françaises (hormis la compagnie pétrolière Total) affichent depuis une décennie (exercice 2007 à 2016 inclus) un taux moyen d’IS de 26,6%. Cette décote d’environ 9 points par rapport au taux national vient, pour l’essentiel, de bénéfices réalisés à l’étranger sous une fiscalité plus légère sans forcément de montages paradisiaques particulier. L’avantage fiscal à réaliser des bénéfices non en France (34,4%) mais en Allemagne (29,8%), en Pologne (19%) ou au Portugal (21%) a permis aux 50 principales sociétés industrielles françaises de réduire de 2007 à 2016 leurs impôts de 31,6 milliards d’euros, l’équivalent annuel de 6,5% de leur bénéfice imposable (1). Pas besoin de connaître par cœur le code général des impôts en France et dans tous les pays développés de la planète pour comprendre la décision prise par le Président Emmanuel Macron et son Premier Ministre Edouard Philippe de se mettre au « standard moins disant » : à la fin du quinquennat, en 2022, le taux d’IS devra descendre à 25%, autrement dit rejoindre la moyenne haute… sauf si d’ici là, les autres pays descendent encore la barre fiscale et la base taxable pour rester dans la compétition. Les néolibéraux le prédisent avec délice depuis longtemps : la guerre fiscale fait tendre le taux vers… 0% ! Tout au plus faudra-t-il, pour nos amis libéraux, assez de ressources fiscales aux administrations pour assurer la fonction qui leur est dévolue, celle d’Etat gendarme. Même l’OCDE – peu réputée pour ses penchants gauchistes – s’inquiète de ce désarmement fiscal.
Alors, question : quelle alternative à la compétition fiscale ? Réponse : la coopération fiscale, bien-sûr. Facile à dire, difficile à faire. En particulier en Europe où toute décision en la matière requiert l’unanimité. On observera cependant que personne ne s’opposa à Viktor Orban, le Premier Ministre Hongrois, quand il décida, fin 2016, de porter l’impôt sur les bénéfices dans son pays à… 9%. De même, l’Irlande parvint à conserver son taux discount d’IS quand, aux abois en 2010, elle demanda le concours de l’Europe. Nicolas Sarkozy voulut « échanger » l’aide communautaire contre une hausse de l’impôt irlandais. En vain. De guerre fiscale lasse, les pays finiront-ils par se mettre d’accord ? Rien n’est moins sûr, tout au plus peuvent-ils harmoniser leur assiette taxable. Mais, là encore, la Commission planche sur le sujet depuis… 2011.
A cette époque, la guerre fiscale ne faisait que commencer.