En remettant en cause les façons de vivre, de produire, de consommer et d’aborder les relations sociales, le COVID, suivi de la crise sanitaire, reflète avec l’originalité que personne n’attendait, le dysfonctionnement abyssal de l’OMC qui impose, depuis sa création en 1995, la loi de la concurrence à la majorité des pays de la planète[1] ; la montée des inégalités, la désindustrialisation massive, le réchauffement climatique et la chute de la croissance ont pris des proportions telles, qu’il devient difficile d’envisager le futur sans revoir les structures des accords multilatéraux du commerce mondial, minutieusement élaborés dans l’unique objectif d’ intégrer dans une globalité libérale, la production de biens, l’éventail très large de services et la notion étendue d’investissements privés ou publics[2].
En quelques mois, le COVID 19 a rappelé avec violence les fractures économiques et sociales causées par l’OMC :
- La désindustrialisation des pays de l’OCDE entraine depuis trois décennies la fermeture de nombreuses unités de production et de multiples pénuries dans les secteurs essentiels au système économique de chaque nation ;
- L’augmentation continue des cultures d’exportation dans les pays à faibles revenus, repousse inexorablement vers les villes des paysans et leur famille qui n’ont d’autres choix que devenir mendiants ou esclaves d’entrepreneurs sans scrupule, méprisant tout facteur humain et écologique ;
Il serait possible d’établir une longue liste des dommages causés par l’OMC, comme l’évincement des services et investissements publics, l’envolée des effets de serre provoquée par des accords entre le MERCOSUR et l’UE[3]ou par l’utilisation anarchique des moyens de transport sur l’ensemble de la planète.
Malgré les difficultés associées à la période que nous vivons, il faut bien noter l’amorce d’un virage dans le domaine des accords entre l’UE et les Etats-Unis. Afin de rétablir une concurrence plus équitable, l’OMC vient d’autoriser l’UE à relever le montant des taxes liées aux importations américaines[4].
Un accord négocié entre les deux partenaires devrait être engagé le 26 octobre avec l’objectif d’éviter la surenchère des taxes levées sur les deux côtés de l’Atlantique.
Parmi les interrogations qui peuvent accompagner les projets liés au commerce international dans les prochaines années, une d’entre elle est devenue majeure : le COVID doit-il rester une fatalité, une ombre associée à un faible niveau de croissance ou présente-t-il l’occasion de saisir d’autres opportunités de développement ?
La pandémie, suivie de la période de confinement, a réveillé les consciences à propos d’un avenir qui ne peut plus être envisagé sans la construction de réels accords entre l’économie (dont les lois relatives au fonctionnement du marché ne sont plus lisibles[5]), le bien-être social et la protection de l’environnement. Les plans de relance, même imparfaits parce qu’établis dans l’urgence depuis le mois de mars, ont redonné une autorité aux pouvoirs publics à travers des politiques économiques plus adaptées aux besoins des différents acteurs. Le virus aurait-il redonné un sens nouveau au mot « régulation » ? Le système de garanties[6] mis en place par les gouvernements et la BCE aurait-il resserré les liens entre les pouvoirs publics, les entreprises et les établissements bancaires ?
Tous les espoirs restent permis pour se recentrer vers l’essentiel, qui repose par définition, sur l’authenticité et le bon sens. Deux siècles après la première Révolution Industrielle, les écarts de richesses provoqués par les dysfonctionnements de la production et des échanges ont détourné sans ménagement, les objectifs de l’industrialisation vers le pillage des ressources de la planète. Aujourd’hui, nous savons tous que ces dernières sont limitées et qu’il est devenu urgent de penser, de produire et de consommer autrement.
Cette idée n’est pas nouvelle ; en 1972, la publication du rapport écrit et coordonné par Dennis Meadows (The limits to growth)[7] commandité par le Club de Rome s’appuyant sur les études scientifiques du Massachusetts Institute of Technology, annonce un effondrement du système planétaire si l’humanité refuse de stabiliser la production, l’exploitation des ressources et la croissance démographique. Ce rapport fut l’objet de nombreux débats, de multiples controverses car il n’engageait pas seulement la remise en cause d’un modèle de croissance mais une transformation radicale des rapports envers l’environnement, la philosophie et la manière de concevoir l’avenir. Ce rapport, devenu une référence, a été remis à l’honneur le 7 octobre 2020 à Paris, lors d’un cycle de conférences organisé autour de la renaissance industrielle[8] et parrainée par le Ministère de l’Industrie.
Aujourd’hui, l’agriculture raisonnée, l’économie circulaire et le retour vers les réseaux de proximité intéressent de nombreux acteurs économiques. Si ces mouvements semblent encore minoritaires par rapport à la force des grands groupes alliés à la puissance financière, ils ont quitté la sphère brumeuse de l’utopie pour devenir, avec le développement durable, un véritable champ d’études partagé par un nombre croissant d’entreprises, d’administrations publiques et divers centres de recherche. L’industrialisation orientée vers des projets écologiques et développée autour d’une gestion des ressources humaines, respectueuse des forces sociales, devient l’enjeu de multiples collectivités territoriales.
Conçue pour soutenir le libre-échange et favoriser la concurrence soutenue par des accords multilatéraux, l’OMC est aujourd’hui paralysée. L’accroissement des importations provoquée par la baisse des droits de douanes a incité les pays à se réfugier dans des zones intégrées qui à leur tour, sont devenues des pièges pour les différents pays membres. Entre l’UE, l’ALENA, le MERCOSUR et la montée fulgurante de la Chine, plus rien ne va. L’OMC s’enlise dans les accords de nouvelle génération où l’objectif majeur est d’évincer le pouvoir politique des investissements publics.
Ne faut-il pas revenir sur une autre conception du commerce mondial, comme ce fut le cas de la Charte de la Havane signée le 24 mars 1948 ? En exprimant la création d’une organisation mondiale du commerce sous l’égide de l’ONU, cette charte, opposée au libre-échange ne fut jamais ratifiée par Les Etats-Unis. La raison de cet échec réside dans une conception collaborative où le commerce mondial serait envisagé autour de la coopération entre nations et non sur la concurrence[9].
Le COVID peut-il encourager les plans de relance et écarter parallèlement les États du commerce mondial ? Cette question ne doit-elle pas être au centre des nouveaux enjeux, afin de reconstruire un monde plus solide, plus cohérent et porteur d’avenir pour l’ensemble des nations et des forces sociales ?
[1] 164 pays adhèrent à l’OMC, voir la carte des membres : https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/org6_f.htm#membermap
[2] Les accords dits « de nouvelles générations », comme le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) en cours de négociation et le CETA (Compréhensive Economic and Trade Agreement) signé le30 octobre 2016, favorisent la libre concurrence dans tous les secteurs y compris dans celui des investissements et services publics.
[3] Le traité de libre-échange signé en 2019 accentue la déforestation en Amérique du Sud. Les experts estiment que le taux de déforestation sera de 5 % par an pendant six ans, ce qui représentera 700 000 hectares au total. Le Monde, 18 septembre 2020, p. 9. (Article de J. BOUISSOU).
[4] https://fr.euronews.com/2020/10/13/airbus-boeing-l-omc-donne-a-l-ue-le-feu-vert-pour-surtaxer-a-son-tour-les-importations-ame
[5] Ch. Chavagneux, « L’Economie hors les lois », Alternatives Economiques, n° 404 septembre 2020, pp :22- 31.
[6] https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/plan-de-relance/dossier-presse-plan-relance.pdf
[7] Dennis Meadows auteur et coordinateur du rapport commandité par le Club de Rome. https://jancovici.com/recension-de-lectures/societes/rapport-du-club-de-rome-the-limits-of-growth-1972/
[8] Rencontre Renaissance Industrielle, 7 octobre 2020, Souveraineté industrielle, gouvernance et ancrage territorial, organisée par La Société d’Encouragement Pour l’Industrie Nationale (dirigée par Olivier Mousson) et Manifeste pour l’Industrie (dirigée par Gabriel Colletis).
[9] https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/havana_f.pdf