Après deux ans d’atermoiements, les Etats membres de l’UE ont voté lundi 27 novembre en faveur d’un renouvellement de la licence, pour cinq années de plus, du glyphosate, cet herbicide pour le moins controversé, commercialisé en particulier par la  marque Roundup de Monsanto.

Dix-huit pays ont voté en faveur de la proposition de la Commission d’un renouvellement de cinq ans, neuf pays se sont prononcés contre. Le Portugal s’est abstenu. Cela a permis aux « pour » de l’emporter de justesse : ils pèsent 65,2 % de la population européenne, juste au-dessus des 65 % nécessaires.

La Pologne, la Bulgarie, la Roumanie et l’Allemagne, qui s’étaient abstenus ces derniers mois, ont, cette fois, voté pour une prolongation de cinq ans. Mais c’est le revirement de l’Allemagne qui aura fait la différence, revirement qui ne manque pas de surprendre.

La décision de renouvellement de la licence du glyphosate a, en effet, immédiatement créé de nouvelles tensions politiques en Allemagne en plein milieu des négociations pour la formation d’un gouvernement. La ministre de l’Environnement, Barbara Hendricks, membre du Parti social-démocrate (SPD), a vivement critiqué cette décision proposée par le ministre de l’Agriculture, Christian Schmidt, membre de la branche bavaroise du parti chrétien démocrate (CDU/CSU). La Chancelière a quant à elle déclaré que la position adoptée par son ministre de l’agriculture était de son seul fait et ne correspondait pas à celle sur laquelle le gouvernement s’était accordée… Au final, il est peu probable cependant que le SPD ira sur cette question jusqu’à la rupture des négociations en vue de la formation d’un nouveau gouvernement au nom de ce qu’il désignera comme les intérêts supérieurs de la Nation et la défense des intérêts de l’industrie et des emplois en Allemagne.

Comme le rappelle le journal Les Echos, le renouvellement du glyphosate va, en effet, dans le sens des intérêts du champion allemand Bayer dont on sait –si la Commission européenne donne son autorisation– qu’il souhaite acquérir Monsanto pour une somme de l’ordre de 56 milliards d’euros.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a qualifié en 2015 le glyphosate de « probablement cancérogène ». La poursuite de son utilisation a cependant été considérée comme une mesure de « bon sens » par certains dirigeants agricoles en France. On sait que les agriculteurs français, comme leurs homologues allemands, sont, en effet, pris au piège d’une agriculture productiviste qui les oblige souvent à négliger leur santé et la préservation de la nature. Ce piège fonctionne en étant combiné à deux autres : celui de pressions très fortes exercées sur leurs prix par la grande distribution et l’industrie agro-alimentaire et celui, désormais, d’une financiarisation de leur activité.

Si une large part du monde agricole s’est ainsi rangée du côté du maintien pendant cinq années supplémentaires de la licence attribuée au glyphosate, il n’est pas le principal bénéficiaire de l’extension de la licence concédée au géant américano-allemand.

Le principal bénéficiaire est bien sûr le groupe Bayer/Monsanto lui-même.

Ce groupe, manifestement très influent, après avoir multiplié les contre-expertises sur la dangerosité du glyphosate et fortement contesté l’autorité scientifique du CIRC, aura réussi –chose extraordinaire- à obtenir le revirement du vote de l’Allemagne et à déclencher une crise politique dans ce pays et en Europe.

La question est désormais de savoir qui contrôle le géant américano-allemand ?

Il aurait dû être de la responsabilité de la Commission européenne d’agir dans le sens d’une suspension de la licence accordée à Monsanto selon le principe de précaution. Il reste de la responsabilité de la même Commission d’autoriser -ou non- la prise de contrôle de Monsanto par Bayer au nom du respect de la concurrence. Comme le rappelle Les Echos, Monsanto est en position de force en Europe s’agissant des pesticides avec son célèbre glyphosate, le Roundup. Que se passerait-il s’il était absorbé par Bayer, qui fait partie du « nombre limité de concurrents… capables de découvrir de nouvelles substances actives ? », interroge la direction à la Concurrence de la Commission européenne.  Et le quotidien de rappeler que l’inquiétude porte aussi sur les semences, en particulier dans le colza : Monsanto est leader en Europe, tandis que Bayer est numéro un mondial. Le rachat du premier par le second pourrait faire baisser la pression concurrentielle. Last but not least, les fonctionnaires de la Commission européenne se sont, d’après les Echos, intéressés aux « caractères agronomiques », qui renvoient aux semences spécifiques permettant de développer tel ou tel type de plante. Là encore, la concurrence entre les deux groupes est aujourd’hui forte, sur un marché déjà concentré. La Commission craint donc que le projet d’acquisition « ne réduise la concurrence… et n’entraîne ainsi une hausse des prix, une baisse de la qualité, une réduction du choix et un recul de l’innovation. ».

Le résultat de l’enquête approfondie qu’a lancée la Commission sera connu début janvier 2018. Autoriser la prise de contrôle serait assurément une erreur. Et une double erreur –compte tenu de la non-application du principe de précaution- constituerait une faute politique grave suggérant que les grands groupes sont hors de tout contrôle effectif.

Il est de la responsabilité de notre Association que de signifier que le développement de l’industrie ne saurait jamais se faire au détriment de l’homme et de la nature. Cela suppose, en particulier, que les grands groupes industriels et financiers soient fortement incités à refonder leur manière de considérer le travail, de voir et de compter afin de sortir de logiques institutionnelles axées exclusivement sur la rentabilité financière. Seule une révolution progressive de la production et des modes de consommation, centrée sur une  conception élargie de la  performance mais également du social, de la technologie et de l’écologie, pourra retourner la situation en faveur du progrès humain et de la nature.

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