Une entreprise est représentée par une personne morale qui, en droit, est une « fiction juridique ». Usuellement dénommée « société », elle est considérée comme le groupement des associés ou des actionnaires. Cependant, la société est une personne morale ou une personne fictive qui a un patrimoine propre (dit aussi  capitaux propres ou actifs nets) et un revenu propre (le résultat net). Cette personne fictive est distincte des associés et des actionnaires.

En France, les articles de référence du code civil, à savoir 1832 et 1833, disposent que la société est constituée dans l’intérêt des associés et en vue de se partager le bénéfice. Ainsi, en lui assignant comme finalité le profit, on fait de la personne morale un « investisseur fictif ». Il semble être « dans la nature de l’entreprise » que sa finalité soit le profit, autrement dit le revenu des associés ou des actionnaires. Profit s’entend classiquement au sens de bénéfice, mais ce peut être également la valeur créée pour l’actionnaire ou encore l’EVA (economic value added). Or, si la logique comptable est orientée exclusivement profit ou rentabilité, l’entreprise comme structure productive n’existe pas.

Dans un cadre institutionnel reconstruit en vue de faire véritablement « exister » l’entreprise, celle-ci devient d’abord  une structure productive dont la finalité est de produire des biens et des services. Cette structure est un ensemble dont les constituants sont le dirigeant, le personnel et l’équipement. Elle existe dans le monde « physique » et son activité permet de réaliser une transformation ayant pour entrée les biens et les services incorporés provenant des fournisseurs et pour sortie les biens et services produits destinés aux clients. La contrepartie économique de cette production se mesure par la « valeur ajoutée » (différence entre le chiffre d’affaires et les consommations intermédiaires). La valeur ajoutée est à la fois le véritable revenu de l’entreprise et la source des revenus des ayants-droit entre lesquels la valeur ajoutée est répartie. Cette grandeur économique est essentielle car elle permet de financer les salaires des dirigeants et du  personnel, de rémunérer les intérêts des banques, les impôts et les taxes demandés par l’Etat mais également d’assurer l’autofinancement (amortissements + parts réinvestie du résultat) et de verser les dividendes. C’est donc la valeur ajoutée qui permet de couvrir le coût global de la structure qu’est l’entreprise (coût du  travail et coût du capital) alors que le profit (l’excédent brut d’exploitation) ne représente qu’une partie de la valeur ajoutée.

Il est possible de mettre en évidence, comme l’a fait Paul-Louis Brodier(1), une autre grandeur économique nommée « valeur ajoutée directe » des ventes ou VAD des ventes. Elle est simplement la différence entre le chiffre d’affaires et la consommation directe des ventes.

De ce point de vue, la « valeur ajoutée directe » fonctionne dans une logique d’expansion. Elle contraint à choisir les produits (sobres, durables et écologiques) susceptibles de trouver un marché, et non ceux capables de dégager la meilleure marge. Elle conduit à réfléchir sur les marchés et les produits porteurs, donc à travailler sur le long terme.

 Il est alors possible, par des états comptables renouvelés(2), de construire une efficacité productive, économique et écologique qui ne se confonde pas avec la recherche du seul optimum financier. La façon de compter influe fortement sur les jugements, orientations et décisions.

Dès lors que cette nouvelle identité est reconnue comme légitime et opératoire, le travail peut être appréhendé comme une source de valeur et de développement et non comme un simple coût à réduire sans cesse.

Si l’on retient cette finalité pour l’entreprise, l’objectif de la personnalité morale en tant que fiction juridique n’est plus de souscrire aux exigences des propriétaires ou des actionnaires de contrôle qui visent en priorité la rentabilité financière. Par construction, le dirigeant-entrepreneur devient un représentant légal qui agit en fonction de la mission qui lui a été dévolue : produire des biens et des services. Le fait d’assigner à la personne morale (société) la finalité « produire des biens et des services » fait de celle-ci un « entrepreneur fictif ». Le dirigeant, ses collaborateurs et l’ensemble du management doivent alors prendre en compte non seulement l’intérêt des détenteurs de capitaux mais également ceux de l’ensemble des intérêts qui seront affectés par leur prise de décision. Dès lors, la question du « pouvoir » et de son partage dans les instances de supervision et de décision ne peut plus être traitée indépendamment de la « raison d’être » de l’entreprise c’est-à-dire des finalités qu’on lui assigne et des outils comptables qui la font exister.

(1) « La VAD, La valeur ajoutée directe, Une approche fondée sur la distinction entre société et entreprise« , Addival, Montpellier, 2001.

(2) Ces états comptables orientés valeur ajoutée et valeur ajoutée directe (VAD) ont été mis en place par Paul-Louis Brodier (voir le site Vadway). Nous avons repris ici ses analyses lorsqu’il propose une autre manière de voir et de compter.

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