Quand la gauche essayait encore, Le récit inédit des nationalisations de 1981 et quelques leçons que l’on peut en tirer

Par François Morin, Lux Éditeur, 2020,16 €.

L’auteur restitue tout d’abord, dans une première partie de l’ouvrage, l’histoire des nationalisations dans leur phase préparatoire lorsque la gauche accède au pouvoir en mai 1981. François Morin est l’un des seuls universitaires situés à gauche à maîtriser aussi bien les questions techniques, juridiques et économiques concernant la nationalisation des grands groupes industriels, bancaires et financiers français. Il était donc assez logique qu’il soit choisi pour  la qualité de son expertise au cabinet de Jean Le Garrec, secrétaire d’État chargé de l’« extension du secteur public ».

Dans la seconde partie du livre l’auteur tente de tirer les leçons de l’expérience des nationalisations de 1981 en vue de construire une « démocratie économique radicale » pour aujourd’hui et demain.

A l’arrivée de la gauche au pouvoir, deux lignes politiques s’affrontent. Pour les tenants de la « rupture », il était nécessaire de nationaliser le crédit ou, en tout cas, un grand nombre de banques. De même, la nationalisation signifiait une prise de 100% des capitaux des groupes industriels retenus par le nouveau pouvoir et non la prise de contrôle à 51% comme le défendait le courant dit « réformiste ». Mais d’autres questions surgissaient. Comment traiter les participations industrielles autres que celles prévues explicitement par le programme de nationalisations ? Pour les tenants de la rupture, appuyés au début par François Mitterrand, il n’était pas question de rétrocéder ces participations dès lors qu’elles correspondaient à de véritables logiques économiques. Cependant, en cas de non rétrocession de ces actifs au secteur privé, le secteur public nationalisable pouvait doubler de volume.

François Morin dévoile les enjeux politiques de la grande bataille secrète des nationalisations de septembre 1981 à février 1982. Il montre les alliances qui se constituent au sein de l’appareil d’État entre le monde des cabinets ministériels, les conseillers de Matignon et de la Présidence de la République, le Parlement et le Conseil constitutionnel, avec parfois des appuis externes (industriels, banquiers) pour tenter d’imposer une approche des nationalisations plutôt qu’une autre.

L’auteur fait ressortir l’idée selon laquelle nationaliser les entreprises sans véritablement les démocratiser conduit finalement à l’étatisation de leur gestion, loin du projet de démocratie économique dont il était pourtant question dans le Programme commun de la gauche. La loi, par exemple, a conféré aux salariés et à leurs représentants une place minoritaire dans les conseils d’administration.

François Morin note ainsi que le thème de la « démocratie économique » est resté très mesuré et relevait du « service minimum » dans le texte de loi. Un hasard ? Un oubli ? Une omission ? Volontaire ?

De son côté, l’option réformiste, qui s’incarnait dans les personnes de Michel Rocard et de Jacques Delors, n’a pas tout à fait atteint ses objectifs et la voie qu’elle prônait, celle d’accompagner la mondialisation néo-libérale, s’est révélée par la suite être une impasse pour le progrès social et humain.

C’est pourquoi, pour aller au-delà du caractère insatisfaisant des choix en vigueur au début du septennat socialiste, les nouvelles propositions concernant le partage des pouvoirs dans l’entreprise conduisent François Morin à envisager aujourd’hui une codétermination à parité entre les représentants des salariés et les représentants des actionnaires bien au-delà d’une simple cogestion à l’allemande. Les organes de délibération seraient concernés (assemblée générale, conseil d’administration ou conseil de surveillance) mais également les organes de décision (comité exécutif ou directoire). Une telle codétermination des décisions serait alors indissociable d’une refonte significative du droit des sociétés impliquant la reconnaissance de l’entreprise à laquelle serait attribuée une personnalité morale. Cette réforme radicale et de grande ampleur serait cette fois-ci « totalement irréversible en raison de ses effets économiques et sociaux majeurs » (p.206).

Mais les analyses et les ouvertures avancées par l’auteur ne s’arrêtent pas à la refondation de l’entreprise. Elles remontent jusqu’à la question monétaire car le contrôle démocratique de la distribution du crédit relève de la « souveraineté économique, sans laquelle il n’y a pas de véritable démocratie » (p.177). Autrement dit, il s’agit de refaire de la monnaie un bien public.

Cet ouvrage constitue un témoignage capital et une analyse essentielle pour celles et ceux qui veulent renouer les liens entre les mondes du travail, de l’entreprise et de l’industrie sans oublier les questions monétaires et démocratiques.

Daniel Bachet    

Vous allez recevoir un mail de confirmation. N'oubliez pas de vérifier dans vos SPAM !