Quelle place pour les investissements
dans l’univers des monnaies numériques ?

Depuis la remise en cause de la convertibilité du Dollar en or en 1971, la monnaie a subi de nombreux bouleversements. Née de la transformation des métaux, elle est devenue fiduciaire, scripturale avant de se noyer dans le vaste univers du numérique. Qu’elle soit recherchée pour elle-même, échangée contre d’autres valeurs ou dirigée vers les paradis fiscaux, la monnaie s’est métamorphosée pour s’adapter à l’évolution technique des systèmes économiques et sociaux. Dans le cadre de la mondialisation, la multiplicité des échanges de biens, de services et de capitaux a propulsé la masse monétaire vers l’abstraction et repoussé les investissements dans un univers ou personne ne veut plus prendre de risque. Les investissements de long terme, préférés aux investissements publics ont peu de succès. Les financiers préfèrent la rentabilité à court terme et les Etats ne sont plus en capacité d’investir pour moderniser les infrastructures ou d’affirmer une politique industrielle qui serait contraire aux orientations des marchés. La confusion s’est installée avec la globalisation financière.

En 2021, les cryptomonnaies dont le rôle a été renforcé avec la crise sanitaire, occupent désormais une place non négligeable, soit un marché de 2 000 milliards[1]  dans l’éventail des moyens de paiement. Ces derniers sont désormais divisés en deux catégories. La première dirigée par les banques centrales réunit les opérations effectuées par les institutions reconnues du système monétaire international. Ayant comme symbole la finance décentralisée, la seconde catégorie fonctionne parfois sans organisme de confiance et repose sur un programme informatique dont l’objectif est d’effectuer les transactions le plus rapidement possible, sans frais et sans contrainte territoriale. La majeure partie de ce marché est aujourd’hui occupée par le Bitcoin (44 % de la capitalisation boursière totale, soit 887 milliards de dollars), suivie de l’Ethereum (18 %) et autres devises comme le Cardano, le Binance Coin et le Theter. Le numérique s’est invité au sein de la sphère financière en monétisant les données privées, et en promettant d’immenses richesses pour les entités qui les détiendront. En annonçant la naissance prochaine d’une cryptomonnaie appelée Libra (rebaptisée Diem) Facebook dressait la carte d’un nouveau monde où les géants du WEB seraient en capacité de menacer la souveraineté des Etats.

La monnaie a toujours été le symbole ultime du pouvoir

Reliée, depuis l’antiquité, à la notion de gouvernance, une série de questions se pose au XXIème siècle : La monnaie numérique est-elle devenue indispensable à la modernisation ? Son contrôle sera-t-il assuré par les Etats ou par les GAFA ? En étant complètement dématérialisée sous couvert d’anonymat, ne risque-t-elle pas de devenir un refuge plus discret que les paradis fiscaux situés sur des territoires identifiés ? Comment empêcher les risques de volatilité, de paiements illicites comme ce fut le cas aux Etats- Unis où les demandes de rançons auraient atteint en 2020, un montant de 350 milliards de dollars payables en bitcoins[2]. Comment les investissements pourront-ils être entrepris, sous quelle forme et par qui ?

Toutes ces questions doivent être réfléchies avec une grande attention. Lorsque les gouvernements contrôlaient les banques centrales, il était plus facile de lier la masse monétaire au PIB respectif de chaque pays. Aujourd’hui, la régulation est beaucoup moins aisée et les banques centrales, devenues indépendantes depuis les années 1990, ne peuvent plus ignorer l’impact des monnaies numériques.  A leur tour, elles envisagent de créer un nouveau moyen de paiement avec la Monnaie Numérique des Banques Centrales (MNBC), tandis que la Chine, s’apprête à lancer le e-yuan afin de revendiquer et d’affirmer son avance technologique sur l’Occident[3].

Si la montée des monnaies numériques semble inéluctable, les banques centrales auront-elles le pouvoir d’imposer les leurs face à la multiplicité des projets de lancement de e-monnaies privées, bien loin des règles de liaison qui unissaient jusqu’ici la masse monétaire aux richesses créées ? Le montant de l’épargne accumulée depuis la crise du Covid comme l’attractivité de l’or, montrent à quel point les investisseurs ont besoin d’être rassurés. La stabilité a toujours été un gage de confiance ; le spectre de la volatilité des moyens de paiements accompagnée des « fake news » qui circulent sur les réseaux sociaux ne risquent-ils pas de décourager les investisseurs et d’empêcher les gouvernements de mener de véritables politiques industrielles indispensables à la transition énergétique ?

Toutes ces questions sont permises, parce que la monnaie, comme le disait Keynes en 1923, n’est pas un bien comme les autres[4].  En évoluant vers une génération numérique qui reste encore à définir, elle devrait toujours représenter la force économique et sociale d’une nation et, à ce titre, être régulée, contrôlée par les pouvoirs publics. En restant la source de l’investissement, le moment ne serait-il pas venu de revenir sur ses fonctions, sur les règles qui l’attachent aux seules institutions habilitées à la manipuler ? Les bouleversements causés par la crise du Covid, le réchauffement climatique et la montée croissante des inégalités appellent en urgence, le retour du bon sens.

Pascale Touratier
Membre de MAI (Manifeste pour l’Industrie)
Agrégée, Docteure en Economie (Université de Reims Champagne- Ardenne, URCA)

[1] https://fr.statista.com/infographie/23555/capitalisation-boursiere-cryptomonnaies-bitcoin-ethereum-cardano/

[2] https://www.bfmtv.com/economie/international/paiements-illicites-en-cryptomonnaies-vers-des-sanctions-de-l-administration-biden_AD-202109180049.html

[3]  Vincent Lorphelin, « La monnaie numérique stable, un OVNI juridique », Le Monde, lundi 13 septembre, p.32.

[4] Keynes J. M. (1923), A Tract on Monetary Reform, in Robinson, E. A. G. and Moggridge, D. (eds.), The Collected Writings of John Maynard Keynes, Vol. IV, Macmillan, Londres 1971

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