La crise grecque avait mis le monde en alerte. Après avoir intégré l’Euroland en 2001, soit deux ans après l’entrée en vigueur de la monnaie unique (19 juin 2000), la Grèce se dirigeait lentement mais sûrement vers une crise économique, monétaire et sociale qui remit en cause les postulats de la Science Économique. Ajoutée à la crise financière qui allait ébranler l’économie mondiale en 2008, en Grèce, le capitalisme dévoilait une autre facette de son évolution : comme n’importe quelle personne individuelle ou morale, un État pouvait désormais être confronté à la faillite. En prenant comme références des critères reposant en majorité sur la force de la valeur ajoutée produite par les entreprises, les dignitaires de l’Euroland avaient choisi un modèle monétaire qui s’éloignait de plus en plus des capacités productives de nombreux pays ; pour ces derniers, le temps où la monnaie fut considérée comme miroir de l’économie était terminé.

Entre 2008 et 2019, l’écart entre la monnaie et la géopolitique n’a fait que s’accélérer. La dématérialisation liée à l’envolée des marchés financiers, autant que l’indépendance du système bancaire vis-à-vis du pouvoir politique ont porté le Marché au porche d’une immense porte menant vers l’inconnu. Dans un espace sans limite, s’invitent aujourd’hui les cryptomonnaies, qui ne reposent ni sur la valeur ajoutée, ni sur la force attractive d’une puissance économique où sur la volonté de déjouer le marché des changes afin de rester maître des guerres commerciales. Introduites en 2009 par Satoshi Nakamoto sous la dénomination de Bitcoin, les cryptomonnaies envisagées aujourd’hui par quelques milliardaires comme l’espoir d’un retour vers une nouvelle forme de stabilité, auraient pour ambition un objectif bien précis : celui de renvoyer dans l’histoire les mots « fluctuation » et « régulation » afin de protéger des fortunes toujours plus impressionnantes.

Le 18 juin, Marc Zuckerberg, fondateur de Facebook annonçait la création d’une nouvelle monnaie numérique nommée Libra qui devrait entrer en vigueur en 2020. Ce projet qui retire aux pouvoirs politiques la possibilité d’utiliser différents outils afin adapter l’Offre à la Demande sur les marchés des biens et services a provoqué une onde de choc dans l’économie virtuelle. Plusieurs acteurs comme Uber, Apple, Free, Spotify, ont proposé de s’associer à la création de cette monnaie, bien éloignée de l’économie réelle. Quelques poids lourds, experts dans la diversité des moyens de paiements comme Visa, Master-Card, Paypal ne sont pas restés insensibles aux opportunités qui pourraient leur être offertes en intégrant ce système. Le réseau Libra resterait entièrement privé, indépendant du système bancaire organisé autour de la FED ou de la BCE et des soubresauts des marchés financiers. Cette nouvelle monnaie ne serait plus ajustée aux politiques économiques (quel que soit le pays ou encore la nature des régimes administratifs) mais aux Chiffres d’Affaires des grands groupes de l’économie virtuelle. Aujourd’hui, il y aurait 231 plates-formes d’échanges (1) de cryptomonnaies à travers le monde, proposant une multitude de services sur lesquels misent les fonds d’investissement, les banques et les grands groupes de la distribution. Si lors de leur dernier sommet en juillet 2019, les pays du G7 ont soulevé les problèmes liés à la fiscalité, à l’identification ou encore à la sécurité de tels produits, des questions de fond demeurent :

  • Comment au sein d’un système économique, national ou mondialisé, une monnaie, créée par un ou plusieurs acteurs privés peut-elle être crédible ?
  • La crise financière de 2008 a montré tous les dangers des produits virtuels et l’utilité d’une action de régulation de pouvoirs publics venus au secours des institutions financières en faillite. Après trente ans de perturbations financières ne serait-il pas urgent de revenir à des postulats de base où la monnaie serait avant tout le miroir d’une activité multisectorielle reposant sur les capacités productives des entreprises et d’acteurs bien réels, participant à l’élaboration de la valeur ajoutée, et par ricochet du Produit Intérieur Brut, fondement de la vraie richesse ?

(1) Eric ALBERT, les shérifs de la régulation des cryptomonnaies débarquent, le Monde, 25 juin 2019.

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