La crise sanitaire et ses effets sur l’économie mondiale ont révélé au grand public les mécanismes du capitalisme dont l’évolution entre souvent en contradiction avec les activités créatrices des entreprises :

  • Les délocalisations pratiquées massivement depuis quatre décennies ont provoqué l’appauvrissement du système industriel, la dépendance absolue des pays de l’OCDE vis-à-vis du commerce extérieur et, paradoxalement, le manque drastique de produits essentiels à la vie de toute nation, y compris dans le domaine de la santé ;
  • L’accumulation sans limite du capital financier, nourri essentiellement de projets à court terme, d’abandons d’entreprises (quelques fois en bonne santé), de rachats d’unités prometteuses accompagnés d’investissements aussi virtuels qu’éphémères, semble avoir primé sur toute autre finalité.

Dans ce contexte, la préservation à tout prix du bien-être -par la mise en œuvre du principe de précaution- et celle de l’avenir d’un pays -par la défense du principe supérieur de souveraineté- sont apparues comme ne relevant plus nécessairement des missions prioritaires de l’État.

Ce climat anxiogène, entretenu par la crainte d’une seconde vague de pandémie, amène de nombreuses interrogations sur l’évolution des fonctions et des responsabilités de l’Etat.

L’abstention grandissante aux diverses élections montre la déception, la colère ou encore le manque de confiance vis-à-vis des élus, des partis politiques traditionnels et des promesses électorales attachées à leur programme. Dans un cadre économique et financier où le libre-échange exacerbé s’est transformé en règle universelle, le marché a-t-il encore un sens ? Obéit-il à des lois spécifiques comme l’affirment des chercheurs des diverses écoles de pensée de la Science Economique ou serait-il régi par la plus simple des lois, « la loi de la jungle » ? Que peuvent apporter les politiques économiques lorsque l’industrie est quasiment bannie du territoire, lorsque la protection de l’environnement, délaissée sur plusieurs décennies, devient une affaire de survie de l’humanité, lorsque que le travail fourni par le salarié n’est plus considéré comme une valeur apportée à l’entreprise ou au service public mais comme une charge dont il faut se séparer au plus vite ?

La sphère financière retient  uniquement les notions de « rentabilité » ou de « dette » et c’est dans un contexte néo-libéral attaché à l’accumulation sélective de capitaux,  que l’Etat,  contraint ou complice, a limité ses dépenses en transmettant la majorité de de ses fonctions économiques et sociales à d’autres acteurs. Le Covid-19 a bouleversé la donne ; la propagation de la crise et sa métamorphose en crise économique et sociale a étendu le nombre d’attentes vis-à-vis du pouvoir politique. Des PME aux multinationales[1], des collectivités locales à l’ensemble des services publics, tous les acteurs économiques réclament désormais les aides de l’Etat destinées à maintenir l’activité économique sous toutes ses formes afin de soutenir l’emploi.

Dans la majorité des pays de l’OCDE, des plans de relance (chômage partiel, annulation de cotisations sociales et fiscales, prêts garantis par l’Etat, fonds de solidarité pour les PME)  ont été mis en place. Selon les statistiques de l’OCDE révélées par le journal « Le Monde »[2], 45 millions de personnes (près du tiers de la main d’œuvre des cinq premières économies européennes ont bénéficié des mécanismes de chômage partiel. Entre le 1er mars et le 5 juillet, ce sont près de 200 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui ont été annoncés sur le territoire national  afin de préserver les liens qui unissent,  de l’amont à l’aval,  les multinationales à leurs filiales et à leurs sous-traitants.

Si les dispositifs ont permis de limiter les effets de l’onde de choc, de nombreuses inquiétudes demeurent.

  • Selon Bercy, le risque réel est attendu pour la rentrée de septembre avec la crainte d’une augmentation massive de plans sociaux ;
  • Plusieurs syndicats redoutent du côté des grandes entreprises mondialisées, une vague de plans de restructuration déguisés et programmés bien avant l’arrivée du COVID. Le virus apporterait l’occasion de demander des aides de l’Etat (considérées comme indispensables dans un contexte de licenciements massifs) sans remettre en cause le montant (parfois indécent) des dividendes  versés aux actionnaires ;
  • La lutte contre la concurrence internationale et la course à la rentabilité seraient toujours une priorité face au maintien de l’activité des entreprises françaises. Le constructeur ferroviaire Alstom[3] cèderait son usine de Reichshoffen (750 salariés) pour racheter l’entreprise canadienne Bombardier et devenir ainsi le numéro 2 mondial des transports derrière le groupe chinois CRRC.

Dans le cadre des crises qui se succèdent, le non-sens et les contradictions des idées ultralibérales ont atteint leur paroxysme : depuis 2008, l’État intervient, en effet, massivement pour contrecarrer les incohérences destructrices de la mondialisation.  Après avoir refinancé les banques, mis au point un système de lutte contre le chômage et garantit les prêts aux entreprises, l’État est cependant toujours prié de réduire ses dépenses et plus spécialement les indemnisations aux victimes des crises à répétition  afin de limiter la dette publique.

Mais comment le système économique mondial pourrait-il survivre sans les apports de capitaux publics ? Et quel lien établir entre des financements publics massifs mais décriés et la forte aggravation des inégalités ? Rappelons ici les chiffres affolants du Rapport Oxfam communiqués lors du Forum économique mondial de Davos (2020) : « 1% les plus riches du monde possèdent désormais plus du double de la richesse de 6,9 milliards de personnes, soit 92 % de la population mondiale »[4].

La propagation du covid-19, a semé de nombreux doutes et autant d’inquiétudes sur l’évolution de notre civilisation et plus particulièrement sur notre système économique et social. Quand le marché devient fou, quand la finance engendre un lot de pauvreté de plus en plus lourd, quand les institutions s’enlisent dans les contradictions, le temps n’est -il pas venu de refuser « la loi de la jungle » et de construire l’avenir en se rappelant qu’une des définitions premières de la science économique est d’alimenter les hommes qui ont faim de nourriture mais aussi leur permettre de de s’accomplir, de défendre leur dignité, de promouvoir protection et justice[5] ?

Pascale Touratier

 

[1] Airbus, Air-France Renault, Sanofi, sont les exemples les plus caractéristiques de l’économie française.

[2] https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/07/08/l-europe-face-au-risque-des-emplois-zombies_6045591_3234.html

[3] https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/sur-le-site-de-reichshoffen-les-salaries-dalstom-dans-lincertitude-1222714

[4] https://www.oxfamfrance.org/communiques-de-presse/davos-2020-nouveau-rapport-doxfam-sur-les-inegalites-mondiales/#:~:text=A%20la%20veille%20du%20Forum,la%20richesse%20de%206%2C9

[5] Serge Christophe Kolm (1975), « A qui sert la Science Economique », Annales, pp.123_136

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