
« Ecologie industrielle », voilà une formule qui, à première vue, semble contradictoire. En effet, l’idée d’un futur plus vert peut paraître compliquée avec notre modèle de développement actuel, favorisant la pollution, notamment la pollution industrielle, grande responsable de la dégradation de l’environnement et de la santé humaine. On peut imaginer qu’il s’agit ici du reflet de notre rapport à la nature, de notre vision anthropocène, assimilant la nature à un butin, jusqu’à élaborer un marché des droits à polluer. Depuis le rapport Meadows de 1972, alertant sur les conséquences de notre modèle de développement, peu de choses ont été faites. Dès lors, l’enjeu serait de repenser collectivement notre mode de développement et d’abandonner petit à petit ces logiques de croissance proches du fanatisme. Par ailleurs, l’épuisement des ressources naturelles est inévitable tant notre monde est un monde fini. Systématiquement, nous pouvons remarquer que quel que soit le paramètre retenu, le PIB, la construction de barrages, la déforestation, la démographie mondiale, la consommation d’engrais etc… les courbes de croissance sont exponentielles à partir des années 1950. Les effets sur les écosystèmes et de manière générale sur la biosphère avec l’explosion des émissions de gaz à effet de serre ou l’érosion de la diversité sont considérables. Il faut savoir qu’une des caractéristiques des écosystèmes est leur temps de réponse très long par rapport aux dégradations qu’on leur inflige. Enfin, la linéarité de notre système productif et de notre mode de consommation (résumée par le triptyque : extraire-fabriquer-consommer-jeter) n’apparaît donc pas capable de pouvoir « faire système » avec la nature.
Ainsi, repenser un mode de développement nécessite de repenser son mode de production, et par conséquent son industrie. De nos jours, on entend assez souvent parler d’industrie « 4.0 », d’ « usine digitale », et que l’IA va s’emparer très prochainement des usines. Cependant, toute cette IA, toute cette robotisation, tous ces composants électroniques, demandent beaucoup de ressources (dont beaucoup de métaux rares) pour être fabriqués et consommés. Le futur de cette industrie ne semble donc pas infini tant nous consommons notre planète à crédit. D’ailleurs, l’année 2018 a été un record pour le Jour du dépassement (date où laquelle l’humanité dépense la totalité des ressources que peut générer la planète en une année), qui est survenu le 1er août. Selon WWF, ce fameux Overshoot Day aurait eu lieu le 5 mai 2018 si la totalité de la planète était peuplée de citoyens français.
Face à ce constat, seul un développement durable et intelligent peut se dresser pour faire face aux enjeux de notre temps. Cependant, l’objet de ce texte est avant tout de se concentrer sur une possible et souhaitable transition de notre système industriel national. A partir de là, on trouve des réponses dans les pratiques liées à l’écologie industrielle et territoriale.
La notion d’écologie industrielle est apparue durant les années 1960 et 1970 sans réelle réflexion approfondie. Cette notion a été définie pour la première fois en 1989 par R.Frosch et N.Gallopoulos, des chercheurs du groupe General Motors dans une publication pour la revue Scientific American, l’article était intitulé « Strategies for manufacturing ». Ces chercheurs vont alors proposer des alternatives en s’inspirant des écosystèmes biologiques naturels. En effet, ils ont pour idée de transférer le schéma biologique sur une organisation industrielle. Dès leur intervention, il a été question de remettre en perspective le modèle simpliste et linéaire des industries. Dans « écosystème », on retrouve le terme « système », ces auteurs avaient donc déjà conscience qu’un mode de penser, de raisonner et de produire simpliste (c’est-à-dire traditionnellement « linéaire ») ne peut pas rendre compte des meilleures façons de faire et des meilleurs process de production. Par ailleurs, cette notion d’écologie industrielle, selon la Revue d’économie régionale et urbaine de mai 2017, « constitue un mode de réflexion et d’analyse des sociétés humaines qui semble pertinent face aux enjeux du développement durable ».
L’écologie industrielle met en avant un cadre conceptuel nouveau basé donc sur une approche systémique, empruntée à l’écologie scientifique. Cette vision systémique permet de rendre compte de la complexité des relations entre la société industrielle, moderne et régie par un temps court et les autres écosystèmes rattachés à la biosphère, régies par un temps long et une évolution lente. Cette vision écologique de l’industrie est par conséquent animée par la limitation de la pollution industrielle et par la volonté d’optimiser les procédés industriels (recyclage, réemploi, éco-conception). L’éco efficacité, ou l’éco efficience, est perpétuellement recherchée. Pour résumer, l’écologie industrielle propose une vision globale de tous les composants du système industriel, en prenant en compte les relations des composants de ce système avec la biosphère.
L’écologie industrielle est jeune, elle a, en effet, un peu plus de vingt ans. Mais nous pouvons observer que l’écologie industrielle, au fil des années, suscite un intérêt croissant dans certains domaines : académiques, politiques et économiques. L’écologie industrielle semble donc être un mouvement de fond qui a vocation à progresser, notamment par le biais de son institutionnalisation et de sa prise en compte dans de nombreuses institutions (entreprises, organismes labellisateurs, associations, organismes publics, banques). Ce mouvement de fond répond à un besoin de faire évoluer le cadre de réflexion global pour faire basculer le système industriel vers une perspective plus souhaitable et plus durable.
Selon l’ADEME, l’écologie industrielle et territoriale « recouvre les démarches collectives volontaires menées sur un territoire en vue d’économiser les ressources ou d’en améliorer la productivité. En visant à la fois le développement économique et un meilleur usage des matières ou de l’énergie, l’écologie industrielle et territoriale répond aux enjeux de la transition écologique ». Dans notre contexte de raréfaction des ressources (qui induit une hausse de leur prix), l’ancrage territorial, favorisé par une relocalisation des industries et un savoir-faire local, peut être une réelle alternative face à la mondialisation, la financiarisation et le dumping. Toujours selon l’ADEME, « L’écologie industrielle et territoriale, dénommée aussi symbiose industrielle, constitue un mode d’organisation inter-entreprises par des échanges de flux ou une mutualisation de besoins ». C’est-à-dire que dans le cas d’une concentration géographique d’entreprises sur un territoire, ces entreprises vont favoriser la coopération par la mutualisation de certains services (gestion des déchets, de l’énergie) ou par le développement de nouveaux échanges « gagnants-gagnants » (par exemple un déchet d’une entreprise qui devient une matière première pour une autre entreprise).
Par ailleurs, le Club d’Ecologie Industrielle de l’Aube (CEIA) distingue quatre principes fondamentaux que doit respecter l’écologie industrielle : valorisation systématique des déchets, minimisation des pertes par dissipation, dématérialisation de l’économie et décarbonisation de l’énergie.
Face à un monde de plus en plus inégalitaire, où le tissu économique semble gangréné par sa financiarisation, l’Ecologie Industrielle et Territoriale semble pouvoir répondre à des besoins quotidiens, renforcer le lien social, fortifier l’économie locale, préserver les ressources et créer des emplois non délocalisables. L’économie circulaire est un modèle en adéquation avec le développement de l’écologie industrielle : la favorisation du réemploi, du 0 déchet, l’éco conception sont autant de secteurs d’activités favorisant la réduction de notre empreinte écologique qu’il serait sain de développé pour le bien de tous.
L’expérience la plus connue en matière d’écologie industrielle et territoriale est sans doute le projet COMETHE qui s’est réalisé sur le territoire dunkerquois. Le projet, qui repose sur une mutualisation des services, est encore d’actualité et a acquis de réelles compétences dans le domaine de l’économie circulaire et dans la valorisation des déchets, le tout dans une forme collaborative et coopérative qui implique plusieurs parties prenantes (CCI, entreprises, PME, citoyens, associations, ADEME…). Ainsi, au sein de la zone industrielle du littoral dunkerquois, on se rapproche vraiment de cette « symbiose industrielle ». Sur le site, la grande majorité des produits et des déchets issus de la production (boues de dragage, gaz) sont réutilisés pour d’autres productions. Par exemple, les gaz sidérurgiques produits par Arcelor Mittal sont revalorisés dans une centrale à proximité. De même, la chaleur de ses fourneaux est gérée par Dalkia (entreprise spécialisée dans les services énergétiques) et sert à chauffer certains bâtiments (logement, centre hospitalier, collèges, piscine municipale). Par conséquent, la proximité et les synergies font baisser les prix, les bénéficiaires de cette énergie peuvent espérer obtenir une réduction de 15% à 20% du prix de l’énergie. La zone est aujourd’hui considérée comme attractive, ce qui montre que l’attractivité ne peut et ne doit pas se résumer à des pratiques de dumping fiscal, économique et social. En effet, le groupe Belge Indaver souhaite implanter une usine de traitement des déchets industriels et de recyclage à Dunkerque. Ceci prouve bien aussi que la coopération peut traverser les frontières, et que des synergies « inter-territoriales » sont aussi possibles.
Par ailleurs, il est aussi nécessaire de souligner le rôle des acteurs de l’ESS (Economie Sociale et Solidaire) et les adhérents de l’écologie industrielle qui œuvrent pour une pensée alternative, loin de la financiarisation et proche de l’économie réelle, loin des délocalisations et proche de l’ancrage territorial. Un nouveau mode de développement est long à construire (plusieurs générations), cela nécessite une mutation profonde, qualitative et de long terme, ce qui est contraire à la logique de croissance, quantitative et court-termiste. Ce système économique imposé par l’idéologie dominante, basé sur des circuits longs, la haute technologie, et de plus en plus sur la donnée (on pense ici aux GAFAM : Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) s’accélère et se diffuse. Notre économie financiarisée est en réalité une économie précaire qui concentre les revenus, là où l’écologie industrielle et territoriale semble incarner une industrie plus raisonnée et à l’écoute du local (besoins, nature, emploi). Autrement dit, l’écologie industrielle et territoriale pourrait bien incarner la véritable « industrie du futur ».