En 1999, des paysans aveyronnais de la Confédération Paysanne dénonçaient, par le démontage symbolique du Mac Donald de Millau, la volonté des libéraux de pouvoir disposer de la planète comme d’un vaste domaine commercial complètement déréglementé, non encadré permettant d’échanger des marchandises sans retenue et sans référence à une dimension sociale, territoriale ou éthique (1). 

José Bové et François Dufour, représentants à cette période du deuxième syndicat agricole français, invectivaient alors l’Union européenne pour avoir sacralisée le productivisme à outrance. 

La démesure de cette politique agricole a largement participé au réchauffement climatique, notamment par la déforestation, l’appauvrissement des sols et la perte de la biodiversité. Partie intégrante d’une économie libérale mondialisée, la politique agricole des Etats les plus riches a directement contribué à la raréfaction des terres cultivables. 

Les pays du sud sont particulièrement touchés par les records de température (2), les sécheresses et l’éloignement des ressources en eau. L’eau et la terre, alors qu’ils sont des communs (3), sont accaparées pour des programmes de monoculture industrielle soutenus par des Etats peu scrupuleux des conditions de vie de leurs citoyens (4).  

Vingt ans après cette action d’éclat des paysans du Larzac, l’urgence climatique s’est ajoutée à la malbouffe et la mondialisation de la finance incontrôlée. Des investisseurs-prédateurs, soutenus par la Banque mondiale et la  Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), s’accaparent de milliers d’hectares avec le consentement ou la négligence des gouvernements en place. Si les pays du sud sont particulièrement visés, ceux situés à la frontière de l’Europe sont également touchés (5). Denis Dupré (6) nous alerte sur la situation en France en citant, notamment, l’achat massif de foncier par des investisseurs étrangers sans qu’il y ait d’outil en place pour contrer. 

La promesse du Président Macron de mettre en place « des verrous réglementaires »sur les achats de terres agricoles par des étrangers en France,  a été récemment enterrée suite à une divergence sur l’opportunité d’une loi entre les membres de la mission parlementaire mandatée sur ce sujet (7).  

En août 2019, D. Dupré, nous interpelle dans une tribune sur l’urgence de préserver nos terres cultivables : « En France, on estime que près de 26m2 de terres agricoles disparaissent chaque seconde au profit de l’urbanisation et de la rentabilité » (8). 

La SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural), structure privée qui a vocation de gestion de service public, sous le contrôle de l’administration, a révélé que 381 000 ha de terres avaient changé de main en 2017. La SAFER a vu ses missions évoluer : appui au développement durable dans l’agriculture et dans les territoires, gestion de l’urbanisation, protection de l’environnement, des paysages, des ressources naturelles et accompagnement des collectivités territoriales dans leurs projets fonciers. Mais ses prérogatives viennent très malheureusement d’être limitées par le conseil constitutionnel (9).

D’après Denis Dupré, « En France, l’artificialisation des terres au profit de l’habitat, de l’industrie, du commercial, des parkings et des ZAC dévore, sans état d’âme, les terres les plus fertiles qui sont souvent les mieux situées (10) (…). Si l’on ajoute à cela la concentration des exploitations et l’accaparement des terres au profit de grandes structures propriétaires voire des spéculateurs chinois, comme dans le Berry, c’est une menace directe sur l’indépendance alimentaire qui aujourd’hui grandit ».

La gestion du foncier exige des outils étatiques. Ces outils doivent être au service des peuples pour disposer d’un droit à l’autonomie alimentaire.

L’absolue nécessité d’un nouveau paradigme, incluant les services écosystémiques (11) et la définition de communs peut permettre de proposer une alternative pour une transition sociétale, écologique et solidaire.

(1) En référence, voir le livre d’entretiens de José Bové et François Dufour avec Gilles Luneau, Éditions La Découverte, 2013

(2) Température mondiale : la NASA confirme un record de chaleur en juin 2019- article de Johan Lorck du 15-07-2019- voir aussi Météo Paris qui signale un record des températures moyennes en juillet 2019

(3) La notion biens communs, est un concept polysémique. En économie, il désigne les biens publics « impurs », des ressources, matérielles ou non, qui sont rivales et non exclusives, car ils peuvent être dégradés par leur consommation (Wikipedia)

(4) Exemple de la tomate industrielle dans la vallée du fleuve du Sénégal : publications.cirad.fr/une_notice.php?dk=477825

(5) On pense notamment à la Turquie et à l’Ukraine

(6) Denis Dupré est enseignant-chercheur en finance, éthique et écologie territoriale à l’Université de Grenoble

(7) Denis Dupré : Intervention« À quand une loi en France pour sauvegarder nos terres ? »Usbek & Rika-lignes 34-35-36 

(8) Denis Dupré : Intervention« À quand une loi en France pour sauvegarder nos terres ? »Usbek & Rika-ligne 1 

(9) Sous le prétexte de la liberté d’entreprendre que notre Conseil Constitutionnel a retoqué, en 2016, l’amendement concernant les SAFER et l’élargissement de leur droit de préemption pour contrer l’accaparement des terres par des fonds d’investissement étrangers (source Denis Dupré)

(10) Soit « l’équivalent de la surface agricole utile d’un département consommé tous les cinq ans » résume le groupe SAFER

 (11) Ou services écologiques, Les notions d’évaluation (économique et parfois marchande) de la biodiversité et des services fournis par les écosystèmes. Par exemple, la pollinisation.

 

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