Un long déclin de l’emploi industriel (1)

Entre 1990 et 2015, la région a perdu 400 000 emplois industriels soit plus du double des pertes enregistrées dans les Hauts de France, Le Grand Est ou bien encore la nouvelle région Auvergne – Rhône –Alpes (sources : Insee, Estimation d’emploi au lieu de travail).

  

 

Au delà de cette variation absolue, c’est également en Ile-de-France que ce repli a été proportionnellement le plus considérable puisque près de la moitié de l’emploi industriel a disparu. Et comme le situe également le graphique, plus du quart de la perte d’emploi au niveau national est dû au repli francilien alors que la « responsabilité » du Grand Est ou des Hauts de France n’atteint pas 15%.

 

Cette contraction, bien plus forte qu’ailleurs, s’inscrit dans contexte régional particulier, un « modèle de développement intensif » !

Un modèle de développement intensif

Les travaux comparatifs sur les performances des territoires, des régions en particulier, concluent en la sur efficacité des régions les plus denses, la concentration des ressources et des acteurs favorisant la production d’un ensemble davantage que l’on qualifie d’effets d’agglomération. Toutefois, comme la figure suivante l’illustre, la région Ile-de-France occupe une position particulière, révélatrice d’un modèle de développement (1990 – 2013) intensif (2) ; on assiste à un découplage entre les dynamiques de l’emploi et de la productivité pour cette région alors que toutes les autres s’inscrivent dans une relation tendanciellement positive.

 

Il est possible de voir là le résultat d’un processus d’éviction d’entreprises et d’emplois – plus intense qu’ailleurs – afin de favoriser des gains de productivité suffisants (Carré, 2006, 2015), processus d’éviction que l’on peut mesurer à travers le paramètre géographique, « l’effet local », du modèle structurel – résiduel. Pour l’Ile de France, cet effet local a été systématiquement négatif (Baumont et alii, 2016) durant des décennies (3) alors que l’effet structurel était positif en raison de la spécialisation de la région dans les activités de services. Ceci signifie que le tissu économique francilien est composé principalement de secteurs en croissance et de fait si chaque secteur d’activité économique avait connu une croissance identique à la croissance nationale, ce territoire aurait dû connaître une croissance supérieure. Première région française en matière de richesse créée, les performances économiques, sa dynamique de l’emploi, seraient néanmoins en deçà de son potentiel (Carré, Levratto, 2012).

Trois interprétations – imbriquées – de ces performances paradoxales peuvent être proposées soit, le changement structurel et les contraintes d’adaptation à la « norme d’efficacité », un défaut de coordination impliquant entre autre une insuffisante exploitation des ressources technologiques et enfin des politiques locales en défaveur des activités industrielles.

Si la région, comme d’autres, s’inscrit dans un processus de renouvellement des activités, elle subit de manière plus intense, compte tenu en particulier des coûts de fonctionnement plus élevés, un besoin d’adaptation des activités et des entreprises. Cette « norme d’efficacité » induit en particulier un repli plus fort de l’emploi de certaines branches industrielles, mais aussi des processus de réallocation de parts de marché entre entreprises.

Mais cette dynamique d’adaptation repose aussi sur la mobilisation de ressources technologiques, de services de valeur ajoutée, etc., impliquant des coopérations, la constitution d’écosystèmes productifs performants. Or, si comme ailleurs parmi les causes de faiblesse de la compétitivité de l’économie française avancées dans le rapport Gallois (2012) figurent la mauvaise articulation entre recherche, innovation et industrie et l’absence de solidarité au sein des filières industrielles, aggravée par des rapports distendus entre grandes entreprises et PME, ce phénomène paraît plus exacerbé en Ile de France. Comme le rappelle « la Stratégie régionale de développement économique et d’innovation », les atouts économiques, les effets d’agglomération et les capacités d’innovation de la région sont notoirement sous mobilisés. Il est possible de lister, sans prétendre à l’exhaustivité, un certain nombre de caractéristiques de la région qui affecte le fonctionnement des entreprises et des petites tout particulièrement (Carré, 2006). Une large population de PME voit ses difficultés accrues par les phénomènes d’engorgement, les moindres ressources d’intermédiation, etc., sans totalement bénéficier des avantages que procure cet environnement hyper dense. La région donne l’image d’une « économie duale ».

Enfin, les politiques régionales et locales ont joué – comme ceci avait été souligné mais largement ignoré – assez fortement en défaveur de ces activités industrielles que ce soit à travers une véritable absence de suivi des grandes entreprises ou bien encore à travers les moyens relativement dérisoires consacrés aux actions d’intermédiation en faveur des PME. Au niveau local, les politiques d’aménagement et les pratiques urbaines, ont participé à éliminer des pans entiers de ces tissus productifs locaux, les populations de petites industries mécaniques en particulier. Ceci s’est avéré d’autant plus dommageable qu’elles remettaient en cause la pérennité de ces entreprises du fait de leur forte dépendance à certains facteurs de localisation (relation à la grande entreprise, ressources humaines) ce qui en outre contribuait à fragiliser le système productif dans son ensemble du fait des interrelations productives au sein des chaines de valeur régionales.

Une prise de conscience ?

A tous les niveaux, les crises locales comme le repli de la compétitivité de l’industrie, ont conduit les institutions publiques et les acteurs politiques à réaffirmer la place centrale de l’industrie dans sa diversité tant sectorielle, que fonctionnelle et dimensionnelle. La région Ile de France n’est pas en reste comme le suggèrent les propos de Valérie Pécresse ou bien encore les documents stratégiques (SRDEII) et comme l’illustrent les propositions figurant dans la récente étude de l’IAU sur le secteur aéronautique (Petit, 2018).

Nous retenons ici en particulier les propositions faites à propos du déficit d’image de l’industrie, l’aéronautique, comme d’ailleurs des autres secteurs, tant du côté des grands comptes que des PME. Nous ne pouvons par ailleurs que souscrire à ces propositions, o combien urgentes, mais récentes ici, à propos du problème décisif de la coordination des acteurs, tant du côté des stratégies régionale et locales, qu’au sein des écosystèmes, chaînes de valeur et autres filières. Ces propositions paraissent vouloir s’inscrire dans un processus de spécialisation des territoires favorisant à la fois une visibilité et de fait attractivité supérieure et, a priori, une meilleure exploitation des économies d’agglomération. Cette affirmation, nouvelle, de la place essentielle des activités de la base compétitive et en particulier de la base manufacturière, implique alors d’inverser la hiérarchie des normes en particulier au sein des territoires métropolitains pour lesquels les pressions foncières et pratiques locales conduisent à des phénomènes d’éviction des entreprises industrielles ; les politiques d’aménagement doivent donc être adaptées aux exigences de fonctionnement de la base industrielle. En résumé, outre la question centrale de la coordination des acteurs, le maintien nécessaire de la base compétitive francilienne implique cette révision des fondements de la politique de développement et d’aménagement.

 

1. Pour l’essentiel, cette note reprend des extraits de plusieurs publications et rapports (Cf. annexe bibliographique), sur l’économie francilienne, sur la localisation des activités, la place de l’industrie et sur la question de la performance du « système productif ».

2. La corrélation (R2) passe 0,07 à 0,67 si l’Ile-de-France est écartée.

3. Depuis 2009, on a observé un retournement, un effet local positif, tendance caractérisant la majorité des métropoles, effet local régional induit principalement par la dynamique des territoires au cœur de la région.

 

Rapports et publications sur l’Ile de France

Baumont, Carré, Levratto (2016) «Dynamiques territoriales et politiques de développement économique en Ile- de-France », Rapport, Conseil Régional Ile-de-France, Juillet.

Carré, Levratto (2018) «Analyse de la diversité des effets de diffusion du GPE sur les territoires franciliens », Société du Grand Paris, janvier

Carré (2015) «Etude synthétique sur les forces et les faiblesses de la future métropole en matières économique et d’emploi », Rapport, Mission de Préfiguration de la Métropole du Grand Paris, septembre

Carré, Levratto (2012) «Le territoire francilien : forces structurelles et fragilités tendancielles » in. Gillio et Ravalet, Comprendre l’économie des territoires, Lyon : CERTU

Carré, Levratto (2011) «L’Ile-de-France et ses départements : proximité et économie de localisation », Géographie Economie Société, vol. 13

Carré (2006) Les performances paradoxales de l’économie francilienne », Revue d’Economie Régionale et Urbaine, n°4.

Gallois (2012), « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française », La Documentation Française, novembre

Petit (2018) « L’industrie aéronautique spatiale et de défense en Île-de-France », rapport IAU IdeF, février

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