Un collectif visant à développer les expérimentations d’une éco-industrie locale a été constitué. Ce collectif est parti du constat que de par notre manière de vivre et de produire, nous arrivons aux limites acceptables pour nos écosystèmes naturels et aux limites inacceptables de l’exclusion sociale. Considérant que l’entreprise est un des principaux moteurs de notre société, le collectif de l’éco-industrie locale souhaite tester une autre modèle entrepreneurial appliqué à la fabrication éco-industrielle des objets de notre quotidien. Il s’agirait de créer un réseau de coopératives de compétences complémentaires, partageant une même charte de valeurs, centrées sur l’humain et le respect de la nature.

Comme membre initiateur de ce collectif, je crois au bénéfice d’un rapprochement entre les entreprises productives et les institutions chargées du développement des territoires afin que les richesses créées par les activités productives soient plus équitablement réparties entre les parties prenantes et qu’elles soient moins nuisibles aux écosystèmes naturels pour pouvoir être pérennes.

Une entreprise ne peut plus aujourd’hui se soucier que de sa seule croissance sans mesurer ses impacts environnementaux et sociaux.

En tant que consommateurs, nous devons aussi nous interroger davantage sur les conséquences de nos actes d’achat et aller vers plus de sobriété avant d’attendre que la nature nous l’impose, ce qui n’est peut être pas si loin.

Nos principes d’organisation

Les différents principes qui sous-tendent notre démarche de développement d’une éco-industrie locale (EIL) consistent à :

  • Privilégier la fabrication locale des moyens de production, ce qui est possible quand on produit en petites et moyennes séries, et il y a peu d’offres sur le marché international de ces moyens qui sont souvent des outillages assez spécifiques. Cela nécessite aussi de remettre en place sur nos territoires des formations à ces compétences, devenues plus rares depuis la désindustrialisation.
  • Créer un réseau d’entreprises partenaires, partageant une même charte de valeurs intégrant, en plus des objectifs économiques, des objectifs environnementaux et sociaux.
  • Trouver un plus juste équilibre entre le travail de l’humain et le travail des machines afin de privilégier l’emploi humain devant l’achat de robots, surtout s’ils sont importés hors territoire. On peut aussi imaginer de mutualiser au sein du réseau, des compétences salariales particulières.
  • Contrairement au principe startup, en phase de lancement d’entreprises, viser à minimiser les investissements afin d’être moins dépendants des financeurs car l’expérience montre que plus une entreprise est endettée, moins elle a de libertés stratégiques et de choix possibles quant aux valeurs qu’elle souhaite servir. Elle ne peut, bien souvent, que servir les valeurs de ceux qui la financent.
  • Orienter la production vers une relative polyvalence de produits ou de sous produits. Il s’agit de fabriquer des produits différents mais qui nécessitent des outils et de procédés identiques. L’idée est d’élargir la plage d’utilisation de moyens rarement utilisés à plein temps dans les PME pour faciliter les retours sur investissements. Il est également possible de mutualiser l’investissement dans certains procédés coûteux au sein du réseau. Par exemple, une ligne d’anodisation peut permettre à une entreprise non seulement d’anodiser ses propres pièces, mais aussi celle d’autres entreprises du réseau et, pourquoi pas, de vendre ces prestations à l’extérieur du réseau, etc…

Exemple : pour fabriquer un parapluie réparable, j’ai construit, avec mes propres moyens d’usinage, une presse hydraulique de poussée 30 T. J’ai aussi développé des outillages permettant d’appliquer plusieurs procédés industriels avec la même presse, permettant ainsi de fabriquer d’autres pièces que celles destinées aux parapluies :

  • Outillage de découpe de tissus en paquets (16 panneaux de tissus découpés à la fois en 40 secondes)
  • Outillage de découpe au poinçon des ferrures en tôle inox ép. 1 mm
  • Pliage des poussoirs de baleines
  • Emboutissage de casseroles en inox et emboutissage des poignées
  • Sertissage de pièces
  • Marquage d’étiquettes par matriçage au poinçon

L’exemple illustre que si l’on s’est équipé pour fabriquer des pièces du parapluie, d’une presse conçue pour la polyvalence, on peut aussi la rentabiliser en faisant beaucoup d’autres choses. Ceci implique aussi que l’on change la vision de l’entreprise spécialisée dans un produit. L’utilisation de machines polyvalentes est possible sur des petites séries, lorsqu’on ne fabrique pas un produit exclusif. Ceci n’a pas d’intérêt en production grande série puisque l’on mobilise une machine en permanence pour la même opération sur le même produit, il s’agit là de stratégies productives différentes.

En plus des parapluies on peut aussi fabriquer des roues de caddy avec flasques en tôle découpée au poinçon et emboutis avec sertissage d’un bandage élastomère, ou fabriquer des ferrures de tous types pour le bricolage.

Le modèle « production de masse » avec ses moyens très automatisés n’aura jamais cette souplesse, cette capacité à la polyvalence que beaucoup de PME n’utilisent pas non plus car elles se sont également spécialisées sur une famille de produits. Cette polyvalence rend l’entreprise moins fragile devant l’instabilité d’un marché unique, elle gagne en résilience.

Créer des richesses sur le territoire 

L’EIL s’intéresse à la création de richesses sur le territoire proche et à la possibilité que peut avoir une activité productive de générer un circuit court de l’argent sur ce territoire. Je fais également une différence entre l’économie que j’appellerai « réelle » (celle qui permet les échanges de biens et de services entre les personnes) et l’autre économie, celle que l’on sert lorsque l’on paie des intérêts bancaires, que l’on verse des dividendes à des actionnaires ou que l’on achète un robot à une multinationale japonaise en laissant une marge aux négociants importateurs, voire aux spéculateurs. Ces sommes partiront travailler sur les marchés financiers et reviendront rarement servir l’économie réelle des territoires qui les ont générées.

La présence physique d’une entreprise sur un territoire permet d’y créer quelques emplois, proportionnellement au niveau d’automatisation qu’auront choisi ceux qui gouvernent l’entreprise, mais il y a bien d’autres aspects et questions que l’on n’a pas l’habitude de considérer :

  • Une création de liens économiques et humains avec d’autres entreprises locales
  • L’impact écologique de l’activité par rapport aux limites des ressources de nos écosystèmes en matières premières et en énergies fossiles
  • Sur quel marché l’entreprise se place t’elle ? (marché local ou proche / marché libre international)
  • Quel est le modèle économique de l’entreprise : économie libérale ou économie sociale et solidaire ?
  • Quelles valeurs souhaite servir l’entreprise, ou place t’elle le curseur entre dégager du profit et participer à la construction d’une société plus humaine et plus éco-responsable ?

J’observe personnellement que poursuivre la seule logique de croissance économique augmente les différences sociales et aggrave la crise environnementale. Si la croissance n’apporte pas de mieux être à ceux qui en ont le plus besoin, elle est alors nuisible à la société civile et nous devons la redéfinir.

Je sais aussi d’expérience, pour avoir créé et dirigé ma propre entreprise d’ingénierie des moyens de production pendant plusieurs années, que le challenge est difficile et qu’avant de raisonner « intérêt général », un patron ou un entrepreneur doit d’abord s’assurer de pouvoir payer ses salariés et penser la pérennité de l’entreprise. Pour moi la difficulté est de concilier cette pérennité avec la création d’un autre système de valeurs pour notre société de citoyens.

Je sais aussi que la présence d’un marché porteur est une clé incontournable de la réussite d’une entreprise et il y a un important travail de communication à faire pour informer les consommateurs du pouvoir politique de leurs actes d’achat. Cet aspect est déjà bien appuyé par la politique du  » Made in France  » mais l’on devrait davantage s’interroger sur ce qu’il y a derrière l’étiquette  » Made in France  » qui n’est bien souvent qu’un coup de tampon local comprenant une sous-traitance globale et des achats contractés en pays bas coût.

Pour finir, je pense que la construction de ce que je désigne comme un « nouveau modèle de développement pour l’humain » plutôt que de la « croissance » ne peut se faire que démocratiquement en présence de toutes les partie prenantes.

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