Le 28 août, Nicolas Hulot annonçait sur la radio de France Inter sa démission du gouvernement. Des paroles fortes insistaient sur l’urgence devant laquelle nous nous trouvons : « La situation universelle au moment où la planète devient une étuve, mérite qu’on se retrouve et qu’on change d’échelle… ». Cette décision provoqua de nombreuses réactions et polémiques vis-à-vis d’un éventuel échec. Ce terme, abordé quelques jours auparavant par Pierre Zaoui, dans un article publié le 24 août (Journal Le Monde, p.12), ouvre de nombreuses réflexions sur nos manières de penser, d’agir et d’envisager l’avenir.

Né dans une société industrielle, consommatrice et en perpétuel mouvement, l’homme moderne semble avoir perdu pied. Les doutes, les déceptions comme les interrogations concernant l’avenir de chacun dans un monde instable, font naître la sensation d’épreuves répétées et amènent Pierre Zaoui à poser la question suivante : « Comment surmonter ses échecs ? »

Dès les premières lignes de l’article, le terme est employé au pluriel ; Pierre Zaoui reprend l’expression célèbre d’un ouvrage de Samuel Beckett Worstward Ho, (Cap au pire, édition de Minuit, 1991) « Try again, Fail again, Fail better ». L’être humain serait ainsi fait, il n’avancerait qu’en échouant. Depuis la fin du XXème siècle, cette phrase citée à maintes reprises dans de nombreux domaines est devenue une philosophie de vie. Tout lecteur qui chercherait des solutions à un éventuel mal-être se retrouve malgré lui devant une équivoque propre à l’humanité : sommes-nous condamnés à vivre d’échecs en échecs ? Travaillons-nous dans un espace réduit où les frontières nous ramèneraient inlassablement du pessimisme de Nietzsche à l’incertitude choisie par Hegel pour qui la dialectique permettrait au mieux de donner à celui qui échoue, une seconde chance ?

Selon Pierre Zaoui, perdre avec sérénité apporterait au vaincu la force de penser qu’il est bien à sa place. Dans une société divisée en deux catégories, – les « losers » et les « winners » -, chacun devrait accepter de jouer à qui perd gagne. La plus belle des batailles demeure celle que l’on gagne sur soi-même.

Cet article, très riche, nous entraînant des relations conflictuelles à l’acceptation complète des épreuves comme le préconise la sagesse bouddhiste, ne doit pas nous faire oublier que la philosophie est une essence culturelle. Depuis l’Antiquité, la pensée grecque structure l’esprit occidental ; Platon insistait sur la notion de « modèle » très proche de la perfection elle-même symbolisée par l’athlète olympique, tandis qu’Aristote déployait la meilleure stratégie pour parvenir à l’excellence (1). Dans les pays du monde occidental, cette manière de penser allait surdimensionner l’image de soi. L’intérêt individuel devint dès le XVIIIème siècle le pilier de la science économique, de l’homme moderne, de la société industrielle. Cette manière de penser n’est pourtant pas universelle. L’être humainpeut également être considéré comme faisant partie d’un tout. Seul, il n’est rien et sans l’énergie collective, il ne peut rien. Il doit sans cesse rester à l’écoute des éléments qui composent l’Univers pour rester debout.
Les philosophes imprégnés de Taoïsme aiment à rappeler que la force, la faiblesse, l’échec et la réussite se nourrissent mutuellement et qu’ils ne sont jamais définitifs. De Lao-Tseu à François Cheng (Vide et Plein. Le langage pictural chinois, éditions du Seuil 1979), il est nécessaire de faire le vide où se rejoignent déceptions, tristesse et recherche de soi (le Yin) avant de faire le plein, période de vie intense (le Yang). La vie avance comme ondule le dragon : le « winner » et le « loser » d’un moment, savent que seule l’humilité leur permettra d’envisager l’avenir avec clairvoyance. Ce sont les événements qui doivent guider la stratégie à déployer et non la volonté de l’homme désireux de vaincre à tout prix.
Même si le capitalisme a gagné la terre entière, les modes de pensée, comme les philosophies qui les accompagnent ne sont pas neutres. L’interprétation des mots « échec », « épreuve » ou « réussite » dépend avant tout de la culture qui nous a vus grandir et plus particulièrement de l’importance que nous donnons à l’égo. L’intérêt individuel traduit en occident ce que la recherche de l’harmonie procure comme plaisir en Inde et dans d’autres pays d’Asie.

Ces différentes façons de considérer les épreuves et les échecs, ne nous rappellent-elles pas avec force et insistance que nous sommes tout simplement en vie et que nous avons peu de temps pour tout mettre en œuvre afin de mieux l’apprécier ?

Que retenir de ces réflexions si on les restitue dans le contexte de la démission de Nicolas Hulot ?
Trois choses, nous semble-t-il.

– La première est qu’en démissionnant, ce n’est pas Nicolas Hulot qui a « perdu ». Cet acte soulève une question : comment le gouvernement peut-il désormais nous convaincre qu’il est sincèrement engagé sur la voie de la transition écologique ?

– La deuxième est que Nicolas Hulot démissionnaire, l’esprit libre, la conscience tranquille, devrait désormais retrouver sa place auprès de ceux qui, comme lui, sont sincèrement engagés, afin d’éviter à l’humanité entière le cataclysme qui l’attend si les politiques actuelles sont poursuivies.

– La troisième est qu’en démissionnant, Nicolas Hulot a réhabilité le politique au sens noble du terme. Il a montré qu’il est urgent de réorganiser notre société. L’horizon court-termiste de la finance est incompatible avec le respect des activités humaines, de la nature et même de la démocratie.

(1) François JULLIEN, 1996, Traité de l’efficacité, Edition Grasset, p. 17.

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